Voilà, le 1er objectif de l’année est passé. Je viens de terminer le marathon de Paris en 3h44’42’’, temps qui finalement me satisfait. Après une reprise sérieuse en début d’année, c’est le mieux que je pouvais espérer. J’ai pu être régulier jusqu’au 30ème km mais ensuite, j’ai craqué.
Oui j’ai craqué mais pas lâché. Il s’est produit ce que j’appelle sur marathon « une mort lente », une dégradation progressive de l’organisme qui provoque un ralentissement, inexorablement... C’est toujours étrange de vivre ça, les choses vous échappent sans que l’on puisse réagir. C’est comme dans un rêve où on ne maîtrise rien. Mais j’adore, c’est le charme de cette épreuve, son piment, son côté imprévisible qui rend le défi sympa.
Après 4 ans d’absence sur la distance, je suis donc très content. Trois jours après, j’ai eu encore mal aux cuisses au point de m’arracher un rictus de douleur lorsque je me levais ou lorsque je descendais des escaliers. C’est le signe que je suis allé au bout du bout donc pas de regret.
J’étais très concentré au départ de la course. Il faisait déjà chaud et j’ai décidé d’être sérieux sur l’hydratation et les ravitos. Ma stratégie était de boire à tous les km à partir du 5ème km. C’est ce que j’ai fais avec beaucoup de rigueur. J’ai également pris des gels au 5ème, au 15ème, au 25ème, au 35ème et au 38ème km (coup de fouet dans ce dernier cas). Là aussi, cela m’a bien réussi, je n’ai pas eu de souci d’écœurement c’était impec.
J’ai vu plein de coureurs qui prenaient une bouteille au ravito, buvaient 3 gorgées et jetaient la bouteille. Je pense que c’était risqué compte tenu de la chaleur. Sur la fin, j’ai vu pas mal de défaillances dont une sévère au 25ème km où un mec s’écroule quasiment devant moi.
Je suis parti avec un groupe Avia dans le sas des 3h15’, mon temps à Orléans en 2003 pouvant justifier ce petit privilège. Et le sas des 3h15’, c’est tip top pour partir tranquille, ni trop vite, ni trop lentement. J’ai suivi le groupe jusqu’au 1er km.
Le départ est un immense bordel. Il y a des coureurs partout, des spectateurs partout, un speaker qui fait son show, Bertrand Delanoë qui fait son discours de maire. Pas sur qu’il soit ravi de se lever aux aurores pour regarder 37000 mecs en short, quoique…
- 1-5km 24’53’’ (4’56’’, 4’57’’, 5’00’’, 5’01’’, 5’00’’)
Départ en 5’ au km voire même un peu moins par moments. Je suis pile dans l’allure 3h30’. Le groupe Avia est plus rapide et il s’éloigne peu à peu. Il y a Philippe, Bruno, Yves et Caroline. Il y a beaucoup de monde mais je ne suis pas gêné. Ca discute pas mal mais dans 2 heures, il y a aura un silence total. Moi je suis dans ma bulle, étranger à tout ce qui se passe à côté. A ce moment là, je suis très concentré sur ma course, à l’écoute des sensations. La clé du marathon, c’est la régularité. Partir trop vite, c’est la baffe assurée et j’ai déjà connu ça, l’enfer des 17 derniers km, à la dérive, au fond du gouffre... plus jamais ça. Prudence donc, ne pas s’emballer, gérer. On me double pas mal mais cela m’est égal, je laisse filer. Attention, ça descend sur les Champs et sur la rue de Rivoli aussi. Je repère ceux qui vont couler une bielle à partir du 30ème. Ils partent comme des fous, doublent par à-coup, accélèrent sans raison, trop brutalement. Je reste à gauche de la route pour profiter de l’ombre. Au 5ème, c’est un peu le bazar au ravito, je prends juste une bouteille au passage en remerciant la gentille bénévole et je file.
- 6-10km 50’12’’ (5’09’’, 5’00’’, 5’12’’, 4’54’’, 5’02’’)
Peu après la Bastille, ça grimpe méchamment. Je ralentis un peu. Surtout, ne pas se mettre dans le rouge.
Vérité universelle du marathon « Toutes les secondes gagnées seront des minutes perdues ».
Je bois scrupuleusement à chaque km mes 3 gorgées d’eau. 9’’ laissées dans le ravito. Je m’asperge le crâne et le dos. L’eau est tiède donc pas de risque de chopper un mal de bide. Les sensations sont bonnes, j’ai une légère raideur à la jambe droite au niveau de l’aine mais c’est supportable. Je souris au photographe du 8ème km et en oublie mon chrono. Je rattrape mon erreur au 9ème km. Je suis toujours dans le rythme de 5’ au km. 25’17’’ sur cette tranche de 5km, j’ai perdu 23’ par rapport à la précédente.
- 11-15km 1h15’40’’ (5’12’’, 4’56’’, 5’06’’, 5’02’’, 5’13’’)
Après le 10ème km, on se dirige vers le bois de Vincennes. Je ne me souvenais pas que ça grimpait autant, j’ai l’impression que l’on a fait que ça depuis le 5ème km. On prend l’avenue Daumesnil jusqu’au château de Vincennes. Je ne le regarderai même pas. Il fait de plus en plus chaud. Mon allure se stabilise avec les coureurs, je suis dans le rythme du flot continu, à ma place donc. Je garde un bon souvenir de ce passage, c’est agréable même si cela continue de grimper jusqu’à l’hippodrome et le plateau de Gravelle. Je réalise 25’29’’ sur cette tranche de 5km.
- 16-20km 1h40’45” (5’13’’, 5’03’’, 5’08’’, 5’00’’, 4’58’’)
Nous arrivons plateau de Gravelle juste après le temple de trotteurs, l’hippodrome de Vincennes. Je suis à 200m du boulot à vol d’oiseau. C’est là qu’est atteint le point culminant de la course. Les jambes commencent à durcir un peu mais rien de bien méchant, les sensations restent bonnes à part cette raideur qui part de l’aine droite et qui redescend le long de la cuisse. Je bipe consciencieusement les km. Il y a beaucoup de spectateurs. On suit la longue avenue de Gravelle qui sépare le bois de Vincennes et la commune de Charenton. Je réalise 25’05’’ sur cette tranche, j’ai accéléré ! Normal maintenant ça descend un peu et j’en ai profité.
Semi-marathon (21,1km) 1h46’28’’ (5’14’’, 29’’)
Nous passons le semi-marathon. Je fête ça en pondant un 21ème km médiocre et un 100m 4 fois mois rapide qu’Usain Bolt aux jeux olympiques. Qu’est-ce que tu fous Fred ? Les choses sérieuses vont bientôt commencer… j’adore, c’est excitant. Nous progressons vers l’inconnu, comment vais-je réagir ? Un rétrécissement au semi et une foule compacte encourageant les coureurs me donnent des frissons. Sur la 1ère partie, c’est chacun pour soi mais plus la course avance et plus ce peloton va devenir solidaire. Dans la souffrance, l’alchimie se crée entre les coureurs, plus de barrière, plus de compétition, on s’accroche tous ensemble. Le semi marque aussi la sortie du bois de Vincennes. Nous abordons le retour vers l’ouest parisien.
- 20-25km 2h06’27’’ (5’14’’, 5’03’’, 5’02’’, 5’10’’, 5’11’’)
Direction place de la Bastille par la porte de Charenton et l’avenue Daumesnil. Je serai bien allé faire un tour chez Surcouf mais ce n’est pas le bon jour. Juste après la place de la Bastille, nous bifurquons vers la voie Georges Pompidou le long des quais. Mon allure a encore ralenti. La course commence maintenant. Le km25 est franchi dès que nous sommes sur les quais et il reste 17km. Le 23ème km sera mon dernier km proche de mon allure de départ, la dégradation lente de mon organisme a commencé malgré une alimentation et une hydratation rigoureuse. Il y a aussi un phénomène de lassitude dans l’effort, on relâche un peu pour se soulager, on lève légèrement le pied pour accepter de continuer. C’est à ce moment là que j’aurai eu besoin d’un lièvre, une personne qui m’aurait pris par la main pour me dire « hé garçon, tu continues et tu te rentres dedans tant que la ligne n’est pas passée. Accroche-toi à moi. » Là, je me serai calé sur sa foulée en débranchant le cerveau. Je réalise 25’40’’ sur cette tranche et j’ai mangé mon pain blanc…
- 26-30km 2h32’49’’ (5’12’’, 5’12’’, 5’17’’, 5’17’’, 5’24’’)
La réalité du marathon m’apparaît dès le début des quais. Un gars s’écroule devant moi immédiatement attrapé par un coureur pour qu’il ne s’éclate pas le crâne sur le trottoir. Je ne m’arrête pas, on l’aide à s’assoir. Victime de la chaleur ? Mauvaise alimentation ? Grosse hypoglycémie ? Il faut faire gaffe, rester concentré, à l’écoute des sensations et ne rien négliger. J’ai ralentis, impossible d’aller plus vite. Nous restons sur les quais jusqu’au tunnel des Tuileries. Dans ce p… de tunnel se trouve le 27ème km, tant mieux, plus que 15… 15 bornes Fred! Puis nous remontons vers la maison de la radio où m’attend Hugo avec son « Allez Papa ! » La course a changé de physionomie. Plus personne ne parle, on entend les souffles, on sent la souffrance des coureurs. On entre dans le dur. C’est là qu’il faut s’arracher, continuer à courir, lutter contre les douleurs et maintenir une allure correcte. Je sens les gens à la peine, comme moi, on est pareil. Je piste les bornes kilométriques. C’est le moment du décompte. Il ne faut pas faiblir, tenir, tenir, tenir. Je réalise 26’22’’ sur cette tranche… aïe.
- 30-35km 3h00’49’’ (5’39’’, 5’27’’, 5’42’’, 5’32’’, 5’41’’)
Pan le mur dans la tronche. Tu voulais faire le malin ? Et bien, tu y es maintenant et jusqu’au cou. J’ai mal aux cuisses, elles sont dures, mon rythme cardiaque s’est accéléré dépassant maintenant les 170 pulsations/min. alors que je maintenais un bon 160-165. Mon cerveau ordonne à mon cœur de réduire la voilure privant ainsi les muscles de leur carburant principal : l’oxygène ! Allez gentil cerveau, ouvre les vannes stp...Je ne vois pas Hugo à la maison de la radio, j’apprendrai plus tard qu’il était à droite alors que je courais à gauche. Je suis déçu. Le corps n’est plus en ligne, la foulée se dégrade. J’attends les bornes kilométriques avec de plus en plus d’impatience. Bientôt le bois de Boulogne et ensuite le final. Putain c’est long. Le gel au 35ème me fait un bien fou, je l’ai attendu longtemps celui-là. Il me reste le gel « coup de fouet » dans la musette pour le bouquet final sauf qu’au lieu d’un feu d’artifice, ce sera une guerre de tranchée où il ne faudra rien lâcher. Je croise sur le parcours un 1er sauveur, un spectateur à vélo avec le buff des Templiers, autant dire un tatoué du trail. On est pareil copain. Lorsque j’arrive juste à côté de lui, il me dit : « Allez Fred, ne lâche rien ! » (Nos prénoms sont écrits sur les dossards). L’encouragement me touche. Je réalise 28’01’’ sur cette tranche, je frise l’explosion en plein vol.
- 36-40km 3h31’34’’ (6’31’’, 5’41’’, 5’50’’, 6’52’’, 5’52’’)
J’inaugure cette dernière tranche avec une 1ère marche, pas du tout triomphale malheureusement mais j’en ai besoin, je suis fatigué. J’ai les cuisses explosées, j’en ai marre de souffrir, marre de courir mais je me force à repartir. Il faut courir, courir pour arriver plus vite, courir pour éviter le chemin de croix et l’écroulement total, le truc qui laisse des regrets plus tard. Plus longtemps tu courras et plus vite tu seras arrivé. Et puis, je n’ai pas encore craqué, j’ai ralentis mais je maintiens encore un rythme potable et je suis encore dans des temps très acceptables. Alors je repars… Mon cerveau a basculé en mode reptilien, des pensées simples et courtes, faciles à retenir et efficaces. Mais il sait aussi faire preuve de faiblesse. Nous sommes dans le bois de Boulogne. Nous avons longé Roland Garros puis basculé le long du périphérique pour bifurquer vers le lac Supérieur avec une boucle assassine mais si elle n’était pas là, ce ne serait plus un marathon. L’endroit m’est familier mais ça fait un bail que l’option visite touristique n’est plus au programme. Pour info, nous passons devant l’hippodrome d’Auteuil. Nous ne sommes plus chez les trotteurs mais chez les chevaux de galop, la bonne blague ! Ils doivent bien se marrer s’ils me voient dans cet état. Km38, je profite de la prise du coup de fouet pour marcher encore 100m… putain Fred tu perds du temps ! J’ai réalisé 30’46’’ sur cette tranche. Bien fait ! Je n’ai que ce que je mérite, ma petite marchette au 38ème se paye encore cash.
- 40-42,195km 3h44’42’’ (6’22’’, 5’49’’, 57’’)
3ème et dernière marche au dernier ravitaillement. J’avoue, je suis cuit Monsieur le Marathon, tu es le plus fort et tu ne te mérites pas facilement. Reste 2 bornes le long du lac Inférieur et ensuite c’est l’arrivée avenue Foch. Je double un finisher de l’écotrail qui après ses 80 bornes le 14 mars est venu se frotter au marathon de Paris. Je l’encourage « Allez l’écotrail ! » Encore un ultra-trailer après mon copain des Templiers. Il me remercie et me dit qu’il visait 3h11’… Eh bé mon gars, tu t’es gouré de groupe là ! Ici, c’est la boutique des 3h45’… ou alors c'est la liquidation totale. Du coup, il décide de repartir avec moi. Avec plaisir ! Il court d’un bon rythme et en bon trailer solidaire, m’emmène comme une fleur vers l’arrivée. Il se retourne régulièrement pour voir si je suis toujours là, ne t’inquiète pas, je ne te lâcherai pas. On franchit la ligne ensemble et je remercie Stéphane "Monsieur écotrail" pour son aide.
Je rejoins le groupe Avia à la gare RER pour un retour à Issy les Moulineaux. La suite résume toute la convivialité de la course à pied. On se retrouve dans une pizzéria à boire une bière pression, à partager sa course et à raconter ses anecdotes. Ces moments ont une saveur particulière sachant ce que représente le marathon. Même si le récit donne parfois l’impression d’une course inhumaine, c’est tout le contraire. Il y a des passages difficiles, de la souffrance, des douleurs mais tout cela est très relatif. Je pense que c’est ce que recherchent beaucoup de coureurs, une part de défi pour les débutants, une course incertaine où rien n’ai joué d’avance pour les coureurs plus expérimentés. Chacun y trouve son compte et c’est bien là le principal.